Congo-Kinshasa/Rwanda: Exploiter le gaz du lac Kivu ?
(La Libre Belgique 06/04/2007)
Le projet est relancé par les autorités de Kinshasa et de Kigali,
preuve de la normalisation régionale. Il pourrait non seulement
apporter des revenus bienvenus. Mais aider à éviter une catastrophe
écologique.
La République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda ont décidé de
relancer un projet commun d'exploitation du méthane du lac Kivu, qui
permettrait du même coup de réduire la concentration de ce gaz et les
risques de cataclysme en cas d'explosion. L'objectif du projet, pour
lequel un protocole d'accord a été signé le 28 mars à Gisenyi (Rwanda),
est de produire de l'électricité à partir du méthane piégé dans les
profondeurs du lac, frontière naturelle entre les deux Etats, a
expliqué le ministre congolais des Hydrocarbures, Lambert Mende. Le lac
Kivu recèle 55 milliards de mètres cubes de méthane (CH4) et quatre
fois plus de dioxyde de carbone (CO2), dissous dans l'eau, à partir de
150 mètres de profondeur.
Le premier gaz, non toxique pour l'homme, est explosif s'il est soumis
à une trop forte pression et/ou concentration. Le second, s'il était
libéré dans les airs en cas d'explosion du méthane, tuerait des
dizaines de milliers de personnes par asphyxie. "Le méthane constitue
donc le détonateur de la bombe à retardement représentée par l'énorme
volume de CO2 dissous. L'extraction du méthane revient [...] à
désamorcer ce détonateur et conduit donc à la sécurisation du lac",
selon une étude du scientifique français Michel Halbwachs. Or pour les
chercheurs, le risque d'un cataclysme est bien réel, dans une région
cernée par une chaîne de volcans en activité.
En 2002, lors de sa dernière éruption, le Nyiragongo qui surplombe Goma
avait craché 38 millions de m3 de lave, engloutissant une partie de la
ville. "Heureusement, la lave s'était écoulée par plusieurs fractures,
dans des directions différentes. Si une pareille quantité s'était
déversée directement dans le lac, à une grande vitesse, cela aurait pu
atteindre les eaux profondes et entraîner une explosion gazeuse", a
expliqué le chercheur congolais Célestin Kasereka, de l'Observatoire
volcanologique de Goma. La libération du dioxyde de carbone du lac
Kivu, qui couvre une superficie de 2 700 km2, tuerait des dizaines de
milliers de gens dans la région. "Vu les densités de population ici, on
vivrait une catastrophe encore plus dramatique que celle du lac Nyos au
Cameroun", estime le chercheur. Le 21 août 1986, une explosion gazeuse
dans ce lac camerounais a projeté dans les airs une colonne d'eau à 80
m de hauteur. L'énorme quantité de gaz carbonique libéré, plus dense
que l'air, s'est ensuite répandue dans les vallées avoisinantes et a
tué par asphyxie 1 800 personnes.
Le lac Nyos au Cameroun
L'exploitation du méthane du lac Kivu, qui ne devrait pas démarrer
avant 2009, sera contrôlée par une commission mixte rwando-congolaise.
La capacité de production potentielle est évaluée à 500 mégawatts, ce
qui pourrait très largement alimenter en électricité tous les riverains
du lac, a assuré M. Mende. " Nous allons mettre en place une équipe
mixte de huit scientifiques qui aura pour mission d'élaborer un plan de
faisabilité de l'exploitation du gisement et d'en mesurer l'impact
environnemental et sécuritaire ", a-t-il précisé. Mais si
l'exploitation s'avérait impossible, il faudrait à tout prix trouver
une solution pour diminuer les réserves de méthane du lac, qui ne
cessent d'augmenter, alimentées par l'importante sédimentation liée à
l'activité volcanique de la région, prévient M. Kasereka. Après la
catastrophe du lac Nyos, une équipe de chercheurs français a participé
à l'installation d'une colonne de dégazage, qui permet d'évacuer de
manière contrôlée le gaz toxique vers la surface. Une telle solution
pourrait être envisagée sur le lac Kivu pour réduire la quantité de
dioxyde de carbone, mais ne lèverait pas à court terme les risques
d'une explosion liée au méthane. (AFP)